DE LA PHOTO AU DESSIN, CHAPITRE III
Posté le 24/12/2022
"NUANCES IBÉRIQUES"
Je pose souvent un regard insatisfait sur mes créations. Cette sensation particulièrement dérangeante m'incite à corriger inlassablement certains traits. Le blanc et l'ivoire deviennent alors mes meilleurs alliés. Parfois, cela fonctionne et j'obtiens d'assez bons résultats. Toutefois, lorsque je prends du recul, ma satisfaction prématurée s'envole. La fourrure manque de relief, la perspective semble incorrecte ou les proportions du museau me paraissent exagérées. Tout comme un visage humain, le portrait d'un animal répond à certains codes que l'on a parfois tendance à oublier. Malheureusement, lorsque le déséquilibre nous saute aux yeux il est déjà trop tard. Mon "Loup pensif" entre dans cette catégorie. À vrai dire, je l'aime bien mais il est assez disproportionné.
"Loup pensif"
J'avais choisi, à l'époque, une photo prise au Parc zoologique du Lunaret. Ce bel espace, géré par la municipalité de Montpellier, offrait d'agréables promenades dans un lieu semi-ombragé. Le site animalier, entièrement gratuit (hormis la Serre Amazonienne), présentait plusieurs espèces dont une meute de loups ibériques. Malgré une température assez élevée en cette période de l'année, le petit groupe de canidés semblait animé d'une effervescence peu commune. Mes mises au point manquaient de rapidité et de précision pour des êtres aussi vifs. Ma journée se solda par un nombre incalculable de photos floues ainsi que quelques queues de loups franchement moqueuses. Je travaillais donc d'après une photo qui me compliquait la tâche. J'en fis un rapide croquis, assez peu fidèle, que j'abandonnai d'ailleurs aussitôt.
Plus de trois ans se sont à présent écoulés. Je reprends la première esquisse dans laquelle j'entrevois le moyen de corriger les erreurs du passé. Canis lupus signatus me regarde sur une photo dupliquée au format A4. J'espère que cet agrandissement compensera la piètre qualité de mon cliché. Ce beau loup ibérique m'attire par son regard énigmatique. Toutefois il ne sera pas facile à dessiner, en particulier au niveau du pelage. Le résident des régions montagneuses espagnoles et portugaises possède en effet une parfaite tenue de camouflage. Sa fourrure, savant mélange de gris foncés parsemés de poils noirs et d'ocres clairs représente un véritable challenge pour une dessinatrice peu expérimentée. Je me range toujours dans cette catégorie, malgré plusieurs années d'expérience. Je relève néanmoins le défi même si ma photo représente plus un obstacle qu'une aide. Ce jour là, en effet, le soleil habillait généreusement mon modèle d'une chaude nuance fauve assez difficile à reproduire sans tomber dans l'excés.
Je joue patiemment avec la gomme et le crayon afin de remettre le museau de la bête dans le bon axe mais j'ai beaucoup de mal à trouver les proportions exactes. Je perçois pourtant une lente amélioration. Mes efforts commencent à porter leurs fruits.
Le nouveau décor ne suit aucun modèle. Il ne fait que reproduire ce que j'apprécie dans les paysages méditerranéens. Je n'ai jamais visité les régions montagneuses du nord de l'Espagne telles que la Sierra de la Culebra ou la Cordillère Cantabrique. J'aurais aimé fouler leurs sentiers de randonnée sous le regard caché des loups ibériques. Je ne connais pas non plus le Portugal et en particulier le Parc National de Peneda-Gerês dont la beauté n'a, paraît-il, rien à envier aux autres merveilles de ce Monde. Tous ces lieux dans lesquels j'aurais peut-être eu l'infime chance de rencontrer le sauvage canidé ne sont accessibles qu'en rêve. En fin de compte, les paysages du sud de la France sont-ils si différents de ceux que l'on peut rencontrer en Espagne? Je repense au film de Gerardo Olivares: "L'enfant loup" dont j'apprécie l'histoire ainsi que les décors naturels. Cette belle région, située dans le sud de la Péninsule Ibérique, pourrait représenter une bonne source d'inspiration pour mon portrait. Toutefois, malgré mes recherches sur la Toile, j'ignore si ce long-métrage a bien été tourné dans la Sierra Morena. Quoiqu'il en soit Canis lupus signatus, espèce endémique de l'Espagne et du Portugal, vit paisiblement dans cette chaîne montagneuse.
Étant donné que rien n'est plus imparfait qu'un Monde dominé par l'espèce humaine, quelques ombres obscurcissent ce tableau. Nous ne devons pas oublier que le "loup d'Espagne", comme on l'appelait autrefois, figure hélas sur la liste rouge de l'UICN parmi les espèces quasi menacées (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Nous remarquons les mêmes schémas, quelque soit le pays concerné. L'Être humain chasse le gibier ou élève du bétail, le loup se nourrit. L'Être humain gère le territoire selon ses propres besoins, le loup y vit. La perte d'une telle sous-espèce serait, cependant, dramatique pour la biodiversité. C'est en effet dans sa situation géographique unique que le loup ibérique tire sa force mais aussi sa vulnérabilité.
Je souhaite vivement ouvrir une parenthèse au sujet du film "L'enfant loup" (voir les références en page "Vidéoloup"). Lorsque j'apprécie une adaptation cinématographique, je complète toujours cette expérience par l'acquisition du livre dont le cinéaste s'est inspiré. Hélas, malgré tous mes efforts, l'ouvrage relatant l'histoire extraordinaire vécue par Marcos Rodriguez Pantoja manque cruellement à ma "Biblioloup" ("J'ai joué avec les loups" de Gabriel Janer Manila).
"Nuances ibériques" est à présent terminé. J'ai dû remodeler la fourrure de mon loup à plusieurs reprises afin de lui donner plus de volume. Voici donc un portrait dans lequel chaque élément s'exprime selon ses propres caractéristiques. Les Albrecht-Dürer de FABER-CASTELL se réservent les premières couches (humides) avec leurs jolies gammes de verts et gris chauds pour le décor ou gris clairs, sienne brûlée et ivoire pour le pelage. Les Luminance "Ocre" et "Terre chaude" de CARAN D'ACHE rehaussent ce "fond de teint" de leurs riches nuances. Il ne restait plus qu'à peaufiner les détails grâce aux Lightfast ocres, blanc et noir de DERWENT.
Décidément je ne regrette pas l'achat assez onéreux de ces beaux crayons. J'ai découvert des couleurs lumineuses, en particulier dans les gammes d'ocres, dont le dessin animalier ne peut se passer.
"Nuances ibériques"