DE LA PHOTO AU DESSIN, CHAPITRE IV
Posté le 29/05/2023
"PATTE A CROCS"
Patte à crocs, un amalgame entre pâte dentifrice et brosse à dents à l'échelle lupine, évoque les gestes que nous accomplissons quotidiennement pour préserver notre dentition. En l'absence de preuves scientifiques je me contenterai ici du terme "évoquer". Pourtant cette analogie ne me paraît pas insensée. En effet, si l'on observe attentivement l'animal dont je me suis inspirée pour réaliser ce portrait de loup, le miroir de notre imagination peut nous renvoyer l'impression d'un brossage de dents en bonne et due forme. J'ajouterai, afin d'éviter une accusation d'anthropomorphisme, un détail qui me paraît important: l'un des ouvrages consulté mentionnait ce fait. Hélas! j'ai beau rechercher dans mes livres la confirmation de ce que j'avance, mes efforts ne donnent aucun résultat. Cependant, je ne m'avoue pas vaincue. Je continuerai mon enquête aussi longtemps qu'il le faudra.
Afin de varier mes portraits, j'essaie de représenter plusieurs sous-espèces de loups gris. J'ai choisi cette fois un loup de Pologne photographié au Parc du Gévaudan. Grâce à un très beau cadeau, j'ai eu la chance d'occuper en Mai 2022 une "Tanière" située dans l'enclos de ces superbes animaux au pelage clair et j'en garde un souvenir impérissable. Mais, même si l'on savoure chaque instant passé auprès d'eux, ce sont leurs hurlements déchirant la nuit qui provoquent la sensation la plus intense. On en ressent encore les effets, longtemps après avoir quitté ces loups majestueux. Jugez plutôt: Une voix cristalline brise le silence nocturne (ah! le calme d'une nuit passée en Lozère, j'en rêve encore), d'autres chants prennent alors le relais, puissants, mélodieux. Toutes les meutes répondent à l'appel: loups Arctiques, loups du Canada, de Sibérie, de Mongolie. Puis brusquement, tout s'arrête et on éprouve un bien-être absolu suivi d'une sensation de manque comme si la nuit devenait soudain incomplète. Quel souvenir extraordinaire! Il résonne encore dans un extrait de mon poème (en vers libres): "La photo qui pleurait".
La photo qui pleurait,
Les journées de joie trop tôt envolées,
Et les nuits fraîches aussitôt déchirées,
Par les sublimes chants de loups enfin déployés,
La photo qui pleurait semble soudain m'appeler
Passons à présent au dessin. Mon sujet présente de nombreuses difficultés que je dois absolument surmonter si je veux reproduire le mouvement facial de la bête. Pas à pas, les traits naissent et s'effacent. Je m'applique à trouver le bon emplacement de ses yeux ainsi que leur forme. Ils sont plissés sous l'effet de la concentration. Les pupilles semblent fixer un point sur le museau. L'intensité du regard ne doit pas refléter la dureté sous peine d'y voir apparaître une méchanceté tout à fait inopportune. La truffe s'incline en suivant les plis du museau. Elle accompagne une légère torsion de la mâchoire supérieure. Gomme, crayon: je tâtonne. Il faut bien reconnaître que l'exercice est délicat. J'abandonne les mesures. Je veux ressentir le mouvement et l'expression de l'animal dans ses yeux, son museau, ses mâchoires et surtout dans les vagues de sa belle fourrure. La patte, à elle seule, nécessite de nombreuses retouches car il s'agit d'une partie essentielle du dessin. L'ensemble doit donc rester cohérent quelle que soit la torsion des mâchoires. Sans cette harmonie, l'utilisation des crayons de couleur risque d'être catastrophique. Cela peut prendre du temps. Quoi qu'il en soit, je n'accorde aucune place à la hâte. Le dessin s'exprime par la recherche, la compréhension du sujet et surtout le plaisir.
Mon portrait comporte maintenant sa structure de base. Chaque élément important se situe à peu près à l'emplacement qui lui convient. Je matérialise encore les zones dans lesquelles le poil apparaît plus sombre comme autant de balises dans un océan de duvet beige. Le loup semble prêt à recevoir son doux pelage et ce n'est pas la tâche la plus simple. Après avoir gravé dans ma mémoire la partie blanche du museau, je commence patiemment à créer ma fourrure sans oublier de contrôler le sens du poil. Selon le schéma établi précédemment, j'utilise d'abord les "Albrecht Dürer" de FABER-CASTELL puis les "Luminance" de CARAN D'ACHE et enfin les "Polychromos" (FC) ainsi que les "Lightfast" (DERWENT). Je sollicite tous les gris chauds contenus dans ma boite de crayons mais ce sont surtout les "Luminance" beiges qui m'aideront à obtenir un pelage suffisamment réaliste.
Enfin, je retrouve l'un des animaux que j'ai eu le bonheur de côtoyer l'an dernier. Les souvenirs refont surface pêle-mêle et je n'ai qu'un seul regret: celui de ne pas avoir vu les louveteaux blottis dans leur tanière, pourtant tout près de moi.